Démocratie

« Dire, c’est défier l’autorité en face ! »

« Dire, c’est défier l’autorité en face ! »

Présente à la 1ère édition du Forum des Alternatives, Yvonne Toba, porte-parole du mouvement No Vox en Côte d’Ivoire nous explique le combat mené contre l’accaparement des ressources naturelles dans son pays.

Qu’elle est l’origine de ton engagement au sein de No Vox ?

Mon engagement a commencé dans l’organisation de la société civile, au niveau de la jeunesse. Dans mon village en tant que Secrétaire générale des jeunes, puis à l’échelle communale et nationale. J’ai vécu toute ton enfance et mon adolescence en milieu rural. Je suis fille de pêcheur. Nous sommes des lagunaires et notre activité première est la pêche et nous en vivons. Mais, nous sommes victimes de l’accaparement de la lagune et des ressources qu’elle procure par les multinationales. Notre lagune est très convoitée ! C’est le piège de la modernisation. Des entreprises viennent s’installer en bordure de l’eau.

Non loin de mon village, l’entreprise de ciment SI Béton s’est installée et occupe une grande partie de la baie lagunaire. Elle empêche les petits pêcheurs comme mes parents, de mener leur activité. Des multinationales ont remblayé la zone et cela réduit d’autant leur périmètre de pêche.
Les autorités n’en parlent pas, parce qu’elles sont complices de cette situation. C’est cette situation qui m’a amenée à vraiment exprimer mon ras le bol et à m’engager dans No Vox qui travaille sur cette thématique.

Comment la violation des droits des communautés s’opère-t-elle ?

Nous nous battons avec les communautés de pêcheurs mais aussi avec les paysans qui sont victimes d’accaparement de leurs terres par les multinationales avec la complicité de nos autorités, contre l’intérêt général du pays. Par exemple, nous travaillons sur un cas à l’ouest de la Côte d’Ivoire, où une entreprise minière, installée depuis des années, a pris plus de mille cent hectares de terres aux villageois.

Il y a même un village qui a disparu car on a déplacé les villageois pour installer une entreprise. Ils ont été recasés dans un nouveau village beaucoup plus petit que le leur. Ils ont donc changé de localité ! En plus de cela, aujourd’hui, ils veulent encore étendre les entreprises et s’emparer de nouvelles terres dans les villages voisins.

Chez nous, les villageois ont des titres de propriété mais les autorités de leurs villages sont complices des entreprises. Elles savent que nos parents sont illettrés, nos parents ignorent leurs droits, donc ils n’ont pas la possibilité de les défendre. Ce sont les autorités « lettrées » qui devaient être les porte-voix des villageois, qui devraient défendre leur cause qui sont leurs bourreaux et les complices des multinationales.

On décide pour les communautés villageoises qui sont directement concernées. Les villageois ne sont pas informés. On leur dit vous devez partir, c’est ainsi.
Ils sont vraiment désespérés, mais n’ont pas de voix et ne savent pas vers qui se tourner. Dans plusieurs villages de Côte d’Ivoire aujourd’hui, cela se passe ainsi. Nos parents sont vraiment victimes d’accaparement et personne n’en parle.

Et quand tu en parles, tu es menacé. Nous avons été victimes de menaces à plusieurs reprises, parce qu’on dénonçait la situation.

La criminalisation des mouvements sociaux s’observe dans de nombreux pays. Où trouvez-vous le courage de vous élever contre des politiciens complices de lobbies économiques aussi importants ?

Notre motivation, c’est que nous sommes la voix des « sans voix ». Nous voulons défendre nos parents, leurs droits.
Nous savons que ce que nous faisons est juste et noble. La nature du combat que nous menons, c’est ce qui garantit cette volonté de nous engager plus.
Nos parents, les victimes elles-mêmes, s’engagent. Ils sont motivées et c’est ce qui nous encourage encore plus.

On sait qu’on prend des risques. Dire, c’est défier l’autorité en face. Mais on prend le risque et on veut le dire haut-et-fort.
Si on ne dit rien, dans vingt ans, dans quarante ans, il y a des villages qui n’existeront plus et nos parents les plus pauvres n’auront plus de place dans ce pays où les multinationales, où le capitalisme ont pris le dessus.

Comment mobilisez-vous les communautés dans un contexte où le rapport de forces est très inégal ?

On va dans les communautés pour échanger et étudier comment installer un Comité No Vox. Ses membres nous informeront en cas d’accaparement ou de violation du droit. Ils nous alertent sur une situation et, à notre niveau, on essaie d’appuyer les personnes concernées pour qu’elles mènent le combat sur place.

Si besoin, nous nous rendons sur les lieux pour mener le combat avec ce Comité. Le Comité No Vox est comme un relais, en cas de violation des droits de l’Homme.

Comment voyez-vous l’évolution du mouvement No Vox en Côte d’Ivoire ?

A long terme, nous envisageons d’installer des bases et des Comités de veille dans plusieurs régions de Côte d’Ivoire, surtout au centre du pays, où les parents n’ont pas d’interlocuteurs. Ils sont vraiment isolés et n’ont pas d’information sur ce qui se passe au niveau de la capitale. C’est là-bas qu’il faut vraiment mettre l’accent.

A long terme, nous voulons couvrir toute la Côte d’Ivoire, pour que nos parents sachent que désormais il y a des gens qui sont là pour porter leur combat. Des gens qui sont là pour porter leur voix, là où il faut la porter pour que localement, le droit soit respecter et qu’ils puissent garder ce qui leur revient de droit, la terre.
Parce que pour nous la terre, c’est un bien à transmettre de génération en génération.

Quand on vient accaparer la terre des communautés, on se demande ce qu’elles feront, parce qu’elles en vivent ! C’est elle qui les nourrit. Quand on leur arrache la terre, on ne pense pas à comment ils vont se nourrir demain.

La souveraineté alimentaire doit être défendue parce que si les ruraux n’ont plus de terre à cultiver, ils seront livrés à eux-mêmes. Cela accroîtra le banditisme et le chômage. Aujourd’hui nos autorités ne s’en préoccupent pas, et c’est un danger qu’il faut éradiquer avant que cela ne prenne de l’ampleur.

Qu’attendez-vous de cette 1ère édition du Forum des Alternatives ?

C’est l’occasion de partager notre expérience de lutte et en même temps de nouer des partenariats. Seuls à l’échelle de notre pays, on ne pourra atteindre les objectifs que nous visons. Il faut qu’on crée des alliances au niveau international avec des mouvements qui ont déjà l’expérience dans notre domaine d’action. C’est très important de participer à ce Forum pour les rencontrer, pour qu’ils puissent nous orienter, voir ensemble les stratégies qu’il faut suivre en lien avec ce que nous faisons.

Nous devons dire et dénoncer. C’est donc important de venir dans ce type de rassemblement. Nous y portons la voix des « sans-voix » de nos différents pays.
On peut aussi y obtenir des soutiens, pas forcément financiers, mais des soutiens pour mettre ensemble la pression sur nos gouvernants, pour qu’ils cèdent.
C’est de ça qu’il est question !

Propos recueillis à Genève, le 17 septembre 2018